L’immatriculation d’un véhicule au nom d’un enfant mineur ne permet sans doute pas d’échapper à toute condamnation…
Un véhicule automobile a été verbalisé 87 fois pour stationnements irréguliers. Le conducteur supposé a été destinataire d’avis de contravention, qu’il a contestés en indiquant que le titulaire du certificat d’immatriculation était sa fille mineure de 5 ans. L’enquête a établi ce dernier élément, mais le père a été cité tout de même devant le Juge de proximité en tant qu’auteur des contraventions.
Le Juge de proximité a relaxé ce père « indélicat », en constatant que juridiquement, le certificat d’immatriculation était bien au nom d’un enfant mineur, mais tout en indiquant que le prévenu avait conservé l’usage et l’entretien du véhicule, en prenant soin de l’assurer et en se désignant lui-même alors comme conducteur principal. Le Juge de proximité a estimé que la propriété véritable du véhicule ne permettait pas pour autant de considérer que ce père était l’auteur des infractions, faute de procès-verbal, de rapport ou de témoignages le constatant.
La Cour de cassation a cassé et annulé la décision du Juge de proximité, en estimant qu’il s’était contredit, mais elle ne s’est pas expliquée (Cour de cassation, Criminelle, 23 octobre 2013).
Il faut interpréter cet arrêt, en tentant de deviner finalement quel est le raisonnement de la Cour de cassation, qui s’est bien gardée de publier officiellement cet arrêt sur le Bulletin Civil (arrêt « inédit », ce qui signifie qu’en principe il n’est pas de grande portée).
D’un point de vue juridique : une contravention, comme c’est le cas en l’espèce, peut être prouvée selon l’article 537 du Code de procédure pénale par procès-verbaux, rapports ou témoignages. Le texte ne prévoit pas d’autre moyen d’établir que la personne est l’auteure d’une contravention comme par exemple un stationnement irrégulier (ou -et peut-être surtout- l’excès de vitesse, le non respect d’un stop ou feu rouge, lesquels entraînent des pertes de points sur le permis de conduire voire même des suspension de permis par le juge…).
Est-ce à dire que la Cour de cassation estime que dès lors que le père dans ce dossier avait conservé l’usage et l’entretien du véhicule, l’avait fait assurer, et s’était déclaré conducteur principal (auprès de qui ? : de l’assureur ou du Juge ?), cela établissait qu’il était le conducteur et l’auteur des infractions ? Rien n’est certain, et il appartiendra donc au Juge de proximité devant qui ce dossier sera renvoyé pour être définitivement jugé, de trancher. Toutefois, la preuve sera-t’elle pour autant établie comme l’exige l’article 537 ? (oui si un rapport des forces de l’ordre établit les éléments ci-dessus ?). Il est hasardeux de soutenir que pour les 87 stationnements irréguliers, le père était l’auteur de chaque infraction sans preuve formelle à chaque fois dans les conditions de l’article 537…
Par ailleurs, pour ce qui concerne les amendes pour stationnement (comme les excès de vitesse, stops et feux rouges) : il faut rappeler que c’est le titulaire du certificat d’immatriculation, qui, à défaut d’identification du conducteur, est redevable financièrement de l’amende prévue. Ce n’est pas une responsabilité pénale mais une responsabilité financière. Il est donc évident qu’en l’espèce, il était impossible de condamner ce père en tant que titulaire du certificat d’immatriculation car c’est sa fille qui était titulaire de ce certificat (le droit pénal étant d’interprétation stricte).
Il y a donc dans cette affaire une dialectique qui pourrait conduire à la relaxe de l’automobiliste, ce que ne semble pas admettre la Cour de cassation qui, pourtant, ne donne aucune clé de lecture de son arrêt, ce qui est bien inquiétant. Par contre la chasse aux automobilistes qui immatriculent leurs véhicules au nom de leurs enfants mineurs semble ouverte, même s’il faut, apparemment, tordre le cou des textes pour entrer en voie de condamnation.
Il faut ajouter que la mineure, à 5 ans, ne risque aucune condamnation pénale. Par contre, sur la responsabilité financière en tant que titulaire de la carte grise, elle peut sans doute être condamnée à payer… sauf ensuite à se retourner contre son père après sa majorité par une action en responsabilité ! (ou sauf à provoquer la désignation d’un administrateur ad hoc par le juge des tutelles des mineurs pendant la minorité pour une telle action car il est certain que ce procédé est contraire à l’intérêt de l’enfant…).
Bref, l’immatriculation d’un véhicule au nom d’un enfant mineur peut encore donner lieu à des incertitudes…
Maître Franck PETIT, Avocat à Dijon
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